« Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » Méditation sur l’Évangile de la veillée de Pâques par l’abbé Arthur Buekens.

Pâques 2019  Évangile de Luc 24,1-12

Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore, les femmes se rendirent au tombeau, portant les aromates qu’elles avaient préparés.
Elles trouvèrent la pierre roulée sur le côté du tombeau. Elles entrèrent, mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.
Alors qu’elles étaient désemparées, voici que deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant.
Saisies de crainte, elles gardaient leur visage incliné vers le sol.
Ils leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?
Il n’est pas ici, il est ressuscité.
Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée : ‘Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite.’ »
Alors elles se rappelèrent les paroles qu’il avait dites.
Revenues du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres. C’étaient Marie Madeleine, Jeanne,
et Marie mère de Jacques ; les autres femmes qui les accompagnaient disaient la même chose aux Apôtres.
Mais ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas.
Alors Pierre se leva et courut au tombeau ; mais en se penchant, il vit les linges, et eux seuls. Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé.

Notre ami  l’abbé Arthur Buekens nous a livré son commentaire de l’Évangile de la vigile de Pâques, puisse cette lecture nous inspirer pour notre fête de Pâques et dans notre vie quotidienne.  

La résurrection de Jésus n’a de sens que si, comme communauté chrétienne mais aussi comme personnes, nous sommes, par nos vies, des témoins de sa vie, si nous sommes aujourd’hui des acteurs, vivant dans notre monde comme Jésus a vécu dans le sien ! Et ça n’est pas évident, loin de là ! Ce ne l’a jamais été d’ailleurs ! Les textes de la liturgie de la nuit de Pâques le montrent clairement.

Il me semble en effet difficile de ne pas voir que le témoignage de la résurrection commence par une crise au sein de la communauté. On oublie trop souvent de dire que des femmes aussi, et dès le début, étaient des disciples de Jésus. Des femmes donc se rendent au tombeau pendant que les hommes restent soigneusement enfermés entre quatre murs protecteurs. Certaines sont nommées par Luc : Marie-Madeleine, Jeanne, Marie mère de Jacques. Mais remarquez que Luc prend bien soin d’y ajouter qu’elles n’étaient pas que trois courageuses plus ou moins inconscientes : « et les autres femmes qui les accompagnaient ». Et ces disciples-femmes trouvent un tombeau vide : « elles entrèrent mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur ».

Leur première réaction est normale. C’est celle que nous aurions sans doute eue : elles sont déconcertées, « elles ne savaient que penser ! ». Prévenus par ces femmes, nombreuses, qui témoignent unanimement que le tombeau est vide, les disciples-hommes … ne les crurent pas : « ces propos leur semblèrent délirants », nous dit le texte. Bien sûr ! Quoi de plus normal que de ne pas croire celles qu’on considère comme inférieures à soi ! Pierre, qui veut en être certain, court au tombeau, mais « il ne vit que le linceul et s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé. ». Tiens donc ! Lui, un homme, va-t-il aussi tenir des propos délirants ? Que nenni ! Il rentre chez lui ! Et le tombeau reste vide. Il restera vide, un vide sans sens, tant qu’on ne regardera pas ailleurs que dans le tombeau !

Ce tombeau vide, ce vide, cette absence renvoient à la plénitude d’une présence ailleurs. Le corps de Jésus n’est plus dans le tombeau… parce qu’il est vivant ! « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » : c’est la question que les deux hommes en vêtement blanc posent aux femmes. Et ça reste aussi la question qui nous est posée à nous, une fois de plus, en cette nuit de Pâques ! C’est sûrement plus facile de le chercher dans une belle histoire datant du 1er siècle, plus ou moins dépoussiérée selon les prédicateurs ! C’est sûrement plus facile de le chercher du côté des tabernacles de nos églises, ces églises le plus souvent fermées par peur de vol des œuvres d’art qu’elles abritent. Comme des musées !

Mais le Dieu des chrétiens, le Dieu de Jésus de Nazareth, ce n’est pas une affaire de musée : c’est depuis toujours et pour toujours le Dieu de la vie. Inutile de le chercher parmi les morts : Il est du côté des vivants, de ceux qui se battent pour la vie. Tel est celui que nous célébrons chaque dimanche, pour un certain nombre d’entre nous, au cœur d’une société qui pénalise de plus en plus durement les plus pauvres, ceux qui portent les stigmates de la souffrance et de la croix du Christ.

Tel est celui que nous célébrons si souvent au cœur d’une société de mort. Aujourd’hui, on risque de le trouver du côté de ceux et celles dont il était le plus proche au temps des chemins de Palestine. Aujourd’hui, on risque donc de le trouver en compagnie des chômeurs et des femmes d’Afrique ou des pays de l’Est obligées de se prostituer ou d’exercer des petits boulots au noir pour survivre ; ou encore aux côtés des jeunes en décrochage scolaire ou des femmes exclues de leurs droits parce que des papiers n’étaient pas correctement remplis ; ou encore aux côtés des sans-papiers et des sans-domicile-fixe, des réfugiés et des minimexés !

Oui, il me semble qu’aujourd’hui il serait proche de tous ceux et celles-là. J’espère vraiment qu’il s’en fait proche,  autrement dit, j’espère que nous, nous nous en faisons proches ! Parce que croire en la résurrection, en être les témoins, implique que nous aussi nous défendions la vie, à commencer par celle des plus fragilisés de notre société. C’est chez eux d’abord que nous pouvons rencontrer le ressuscité : « ce que vous aurez fait… ou pas fait… aux plus petits d’entre les humains, c’est à moi que vous l’aurez fait… ou pas fait ! », c’est-à-dire à tous ceux et celles qui sont fragilisés, dont la vie ou la survie est menacée par la mort sociale, par la mort relationnelle, par la mort physique.

Si affirmer la résurrection de Jésus, c’est affirmer la vie face à la mort, alors, aujourd’hui encore, pour chaque chrétienne, pour chaque chrétien, pour chaque communauté chrétienne, la résurrection reste une Pâque, c’est-à-dire un passage. Dans la Bible, – et la veillée nous l’a bien rappelé-, Pâque, pour les croyants juifs, c’est le passage de l’oppression subie en Egypte à la vie en Terre Promise, cette terre où coule le lait et le miel. Célébrer la Pâque, c’est se remémorer, c’est refaire mémoire du don de la libération, un don qui est aussi une conquête, un don qui ne tombe pas tout cuit du ciel, un don qui en même temps se construit. Et c’est dans ce contexte pascal juif que Jésus vit sa mort : comme un passage de l’oppression et de la mort à la liberté et à la vie. Et c’est à ce même passage que nous participons nous aussi par le baptême que nous avons reçu. Comme le disait Paul dans la lecture : « par le baptême, nous sommes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus-Christ ».

Il n’y a pas d’affirmation forte de la vie si on occulte la mort, si on refuse de s’y confronter, de l’affronter. Quel sens cela peut-il avoir d’être baptisés dans sa mort et sa résurrection, de croire en sa résurrection, de fêter Pâques, si nous ne sommes pas aussi, chez nous, dans notre société, des lutteurs et des battants : non pas les battantes et les battants du néo-libéralisme débridé et triomphant, mais des femmes et des hommes qui se battent contre la pauvreté, contre la paupérisation et la marginalisation. Quel sens peut-il y avoir à chanter « alléluia, Christ est ressuscité », si nous ne sommes pas solidaires des précarisés et des marginalisés de notre société, cette société qualifiée à juste titre de société d’abondance, mais qualifiée tout aussi justement de société profondément injuste. Parce que l’abondance y est mal répartie. Parce que l’abondance y est accaparée. Parce que toutes et tous ne peuvent pas en profiter. Ni chez nous, ni ailleurs dans le monde de l’économie mondialisée. Le pape Jean-Paul II le disait lors de son 1er voyage au Mexique en 1979, il y a quarante déjà : « des pauvres toujours plus pauvres à cause de riches toujours plus riches ».

Mes sœurs, mes frères croyants, je ne prétends pas vous dire LA vérité, mais vous partager ce que je comprends du mystère pascal. Oui, je crois que Pâques nous invite à nous replonger au cœur de ces luttes pour la justice et le partage : sans cela, comment être témoins, comme personnes et comme communautés d’Eglise, que la vie l’emporte sur la mort ? Serait-il possible d’être, autrement, témoins de la résurrection d’un mort sur une croix ? Tout le contraire d’une mort glorieuse, mais la mort d’un humilié, d’un rejeté, mort comme l’un de ceux dont il s’était fait le proche, l’ami, le défenseur. Et sa résurrection nous invite à être des témoins que la souffrance et la mort n’ont jamais le dernier mot… quand elles sont le fruit de l’amour.

Arthur Buekens

 

 

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